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10.000 km à vélo à travers les Andes
10.000 km à vélo à travers les Andes
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9 mars 2008

La bicyclette et le 6ème sens...

Quand nous avons annoncé notre intention de partir 6 mois à vélo à travers l'Amerique du Sud, les réactions furent bien sûr... enthousiastes ! Nous lisions cependant dans les regards presque toujours perplexes du plus grand nombre : l'Amerique du Sud - très bien ! mais pourquoi diable à vélo !

Je ne parle pas de ceux, assez nombreux finalement, qui furent assez francs (merci à eux) pour nous dire : "mais vous êtes fous... pourquoi en baver quand vous pouvez aussi bien partir sac au dos, ce qui vous permettrait par ailleurs de visiter PLUS de pays, de découvrir PLUS de contrées, en vous "fatiguant" MOINS..." Et c'est vrai qu'en changeant de mode de transport, s'offraient à nous les plages et la culture brésiliennes, le carnaval de Rio, les chutes d'Iguazu, l'Equateur ou bien encore, pourquoi pas, d'autres continents...

Il y avait enfin ceux qui doutaient de la faisabilité même du projet et de la force de nos mollets, et qui espéraient que Mark Twain aurait, une fois encore, raison : "Ils ne savaient pas que c'etait impossible, alors ils l'ont fait".

A ces perplexités diverses - et diversement exprimées - nous ne pouvions que répondre (espérer) que notre choix était guidé par l'intuition que notre voyage serait ainsi... différent. Je ne dis pas "meilleur" ou "plus beau", autant de qualificatifs qu'en matière de voyage et d'expériences humaines il serait bien vain d'employer, mais bien different, ou encore nouveau pour nous, et finalement, assez proche de ce que nous voulions réaliser : un bout de chemin ensemble, quelque part loin de nos habitudes ; un détour entre Paris et Lille qui nous permette de ne prendre, pour une fois, ni l'autoroute A1 et ses 220 km parcourus en 2h, ni le TGV et son heure de trajet. Je précise les temps de parcours pour tous ceux (non nordistes) qui penseraient que notre installation à Lille les dispenserait de nous rendre une visite pourtant si facile et tant espérée.

Avant notre départ, un voyage à vélo représentait pour nous notamment le triple avantage (oui je sais je suis allé à bonne école) :

- de ne pas aller trop vite. Ce que, après quelques mois a pédaler nous pouvons vous confirmer. Nos moyennes parlent pour nous : entre 10 et 20 km/h suivant l'état de la route, il est vrai jamais optimal dans ces contrées où il faut compter avec le revetement, les conditions climatiques, et le degré de la pente... Nous avons été frappé de constater comme les routes parcourues à vélo restent gravées précisement dans nos mémoires, alors que des quelques trajets effectués en bus, ne restent que quelques flashs.

- de faciliter les rencontres et les échanges tout au long de la route en suscitant la curiosité. Là encore, il ne se passe pas un jour sans que nous ne nous fassions aborder dans la rue par des Argentins/Chiliens contents de discuter quelques instants, ou autres cyclo-touristes (presque toujours Européens cette fois) avec qui nous partageons impressions et conseils pratiques. Les jours passés sur le vélo nous offrent des dizaines de coups de klaxons, de signes de la main, d'encouragements, de propositions de ravitaillements en eau/jus, et de rires au son du klaxon d'Olivia (un pouet pouet magique qui produit un effet hilarant dans 100% des fois où il est pressé) ; ou encore parfois de discussions sur les meilleurs itinéraires, les motivations de notre voyage, le changement climatique, notre pays la France, les problèmes de l'Argentine et les espérances que suscite Christina chez les plus pauvres.

- enfin, de structurer notre voyage en lui donnant du liant, un fil rouge (oui oui comme celui de Simone Garnier) qui nous fasse vivre plus intensément le bel album photo que nous étions certains de nous constituer en voyageant par ici... Bref de vivre une aventure... pas gagnée d'avance... et à 2 ! Ah oui j'allais oublier cet autre aspect : relever un défi physique et humain en partant à la conquête de la plus longue chaine de montagne du monde, sans autres expériences que celles de nos tricycles (5 ans), bicross (13 ans) et vélib (28 ans).

Bien décidés et remontés comme des pendules, restait que notre pari n'etait pas gagné d'avance... Malgré toutes ces intuitions - bien confirmées depuis donc - une chose demeurait plus incertaine que les autres : allions-nous prendre du PLAISIR à parcourir ces montagnes A VELO ? Eh oui... Car ce n'est pas tout d'aller lentement et à deux à la rencontre du monde, encore faut-il que la bicyclette ne soit pas l'occasion de 4 à 6 heures de calvaire quotidien... Et c'est bien là, à mon sens, que résidait la plus grande part de la perplexité exprimée par certains : ok pour le rythme, l'aventure et le fil rouge... mais à quel prix ? Ce qui faisait sens rationnellement, devait AUSSI être vécu avec joie...

Après quelques mois passés à pédaler sur nos chemins de traverses, je crois pouvoir répondre à cette question (et je sais Olivia partager ce point de vue) : au prix d'un intense plaisir. Alors bien sûr vous aller dire : il exagère. Il va essayer de nous faire croire que c'est facile, qu'il n'y a jamais de moments de galères ou de doutes, et finalement que tout est rose bonbon... Pas du tout. Vous imaginez bien qu'il faut parfois serrer les dents dans les montées, que quelques cris de rage contre ce "@!#! de ripio ont jailli à plusieurs reprises, ou que les voitures, plutôt que de nous encourager nous frolent parfois à nous faire chavirer.

Ne cherchant à convaincre personne, ni même à régler mes comptes avec les autres moyens de transports - "Chacun sa route, chacun son chemin", nous serons nous mêmes très heureux de partir en vacances en auto à l'avenir - voici simplement quelques impressions toutes personnelles sur ce qui me donne du PLAISIR lorsque je suis sur le vélo.

Si je cherche à synthétiser toutes mes impressions, il me semble que le voyage à vélo modifie la perception, et pour ainsi dire, exacerbe les SENS. Non non je n'ai pas maché de feuilles de coca ce midi et vous allez voir, je suis certains que vous avez déjà fait cette expérience lors de balades à vélo sur des trajets pourtant parfaitement connus parce que pratiqués de nombreuses fois en voiture, bus ou même à pied : le regard est comme neuf, nous voyons des choses ou détails que nous ne voyions plus, le trajet est différent justement (je vous l'avais bien dit). 

Ce qui est évident pour la vue qui n'est altérée par aucune carosserie, vitre, voisin, etc. l'est plus encore pour le toucher. On ressent parfaitement à vélo de nombreuses sensations largement attenuées dans d'autres moyens de transport : force du vent, passage de l'ombre à la lumière, du chaud au froid, du mouillé/humide au sec, etc. Je pourrai ajouter la poussière, la fraicheur du matin et la douceur du soir mais vous aller dire que je m'emballe.

Mais ce n'est rien. Prenez l'ouïe par exemple. On n'entend presque rien lorsqu'on roule en engin motorisé (ou alors le bruit du moteur et les klaxons des autres) quand le vélo nous permet d'entendre les cours d'eau traversés, les cris des animaux que nous n'effarouchons pas, ou encore... le bruit du vent dans les rayons.

Et vous imaginez bien que c'est pareil pour l'odorat - combien de stops improvisés pour mieux caractériser une odeur apparue tout à coup : pin, lavandes, fruits (c'est comme cela que nous avons trouvé notre meilleur spot de framboises sauvages), gaz d'echappements ou pollution. Quant au goût, nous ne nous expliquons toujours pas avec Olivia que nous nous régalons chaque midi des mêmes sandwishs au jamon y queso y tomate y... mayonnesa. Oui, au risque d'enfoncer des portes ouvertes ou de paraitre onirique à certains, tout prend un goût différent à vélo...

Tout cela contribue selon moi à donner du relief (encore un peu plus) à ce voyage fait de montées abruptes sous le cagnard et sur le riprio et de descentes de plus de 10 km sans coup de pédales et face à des paysages splendides...

Mais il y a une autre source de plaisir un 'je ne sais quoi' qui vous pousse toujours plus loin. Comme une montée d'adrénaline, quelque chose de grisant qui rend la pratique du vélo... dangeureuse (pas seuleument pour les neuronnes comme le pense déjà certains) ; elle crée une forme d'addiction...

A titre de comparaison et pour ceux à qui cela parle, la pratique du vélo me fait parfois penser à celle de la course à pied. Quel plaisir prend-on à courir 20 km, ou un marathon ? Aucun, quand on ne pratique pas ce sport. On imagine plus facilement les joies qu'offrent d'autres sports : plaisirs de la glisse, du geste technique, de la maitrise d'un élement. A pied ou à vélo, peu de technique, encore moins de plaisir de glisse hormis quelques descentes... Et pourtant, lorsqu'on y a gouté, le désir de courir/rouler toujours plus, plus vite, plus loin n'est jamais très loin. Bien sur ce sentiment du franchissement d'une limite existe dans tous les sports, mais nous goûtons particulièrement cette sensation depuis maintenant 3 mois que nous pédalons... Finalement, nous pédalons beaucoup plus avec notre tête qu'avec notre corps... Ce dernier obéissant en definitive tres bien aux ordres de la première...

Et voilà le danger. Je me rememorre un neo-zèlandais croisé un soir autour d'une parilla et qui s'etonnait de la discussion de deux heures que nous venions d'avoir. Il nous disait avoir rencontré beaucoup de cyclistes au cours de son voyage (plus de deux ans) parfois incapables d'avoir une "discussion normale" (ce sont ses termes). Comme si l'horizon pourtant vaste d'un voyage à vélo s'était rétréci à celui du vélo, du bitume et des coups de pédales... Autre exemple frappant d'un américain croisé récemment et qui venait de boucler 8 mois de vélo à travers le continent américain : Anchorage - Ushuaia... 26 000 km en 8 mois ! Et de son propre aveu après avoir étalé ces chiffres et ajouté fièrement "crazy hein ?" : "nous sommes allés trop vite"...

Finalement tout ceci est assez paradoxal : loin de redouter les kilomètres, il nous faut freiner notre entrein (mais oui !) et gérer notre plaisir pour oser les détours, les pauses, les moments de respiration... Apprendre à user du sentiment de liberté intensément ressenti pour jouir quelques instants des paysages et prendre le temps des discussions et de la rencontre : voilà le réel défi de ce voyage... Est-ce cela le 6eme sens ?

Comme je le dis souvent, au propre mais plus que jamais au figuré : "Le but est dans le chemin" (J. Bodin)

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Commentaires
M
Hola les cyclos !<br /> On vient de lire votre prose sur le voyage à vélo... On partage bien votre avis, c´est exactement comme on le ressent. <br /> voila deux semaines que nous sommes arrivés a ushuaia, nous sommes sans vélo et un peu perdus...<br /> bnonne route, on continura a vous suivre depuis Grenoble.<br /> que les vaya muy bien,<br /> <br /> Virginie et Michel<br /> <br /> ps : et puis... comme dit Serge Leret, un pedaleur errant : "le bonheur n´est pas au bout de la route mais sur la route !"
F
Vendredi dernier, je me suis cassé la gueule en vélo, j'ai perdu mon menton. C'est ma façon, toute anglaise, de vous rendre hommage. Alex m'avait prévenu : "There will be blood". Bisous,<br /> <br /> François
L
Hello,<br /> <br /> Pour pimenter un peu le voyage, je vous propose d'instaurer une regle à la Pékin-express, du type "on ne depense pas plus d'1 dollar par jour". Et puis des épreuves de confort genre "celui qui arrive en tête au prochain cactus peut finir le riz"...<br /> <br /> Biz<br /> <br /> Lowlow<br /> <br /> PS : qq news en vrac puisque vous êtes loin de tout<br /> 1. la France vibre au rythme de "Bienvenue chez les Ch'tis", que vous verrez en DVD à votre retour en août prochain<br /> 2. le dernier poilu ne s'épilera plus. Ce brave homme nous a quittés ces derniers jours.<br /> 3. Dans la série, les journalistes qui lisent les prompteurs ne comprennent même pas ce qu'ils disent, "Jérôme Kerviel a été remis en liberté sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter l'Ile-de-France. Son avocat a fait savoir qu'il partait se reposer quelques jours en Bretagne"<br /> 4. Le Dalai Lama empêche la liberté de culte des Chinois mais les occidentaux ne menacent pas de boycotter les JO de Lhassa à cause du rôle des sherpas en haute-montagne, ou un truc comme ça...
L
trés joli texte.
Q
Quentin se demande si après votre retour vous ferez lille paris en velo, voire la route du paris roubaix pour ses pavés, ses odeurs, ses bruits ..., ou si finalement la A1 ou les retards du TGV vous feront un appel du pied ... ; )<br /> <br /> Bons boulons ... bisous<br /> <br /> un neveau des fous
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